Incessants bavardages | Andrew

L’automne avait toujours été la saison favorite de Thalie. Peut-être parce qu’elle aimait plus-que-tout se glisser dans ses habits de mi-saison, confortables mais encore légers pour aller admirer les feuilles orange des grands arbres du parc. Pour elle, c’était aussi la saison de la nouveauté, le moment où après les premières semaines de retrouvailles sympathiques mais toujours identiques, les idées commençaient à émerger pour l’année. Elle pouvait commencer à faire des plans sur la comètes, des projets farfelus et des défis idiots. C’était le moment de se challenger pour ne pas tomber dans la routine qu’incarnaient si bien les différents cours qu’elle avait tout au long de la journée. La jeune femme détestait se lever le matin pour rester des heures durant assise sur sa chaise. Pas plus tard que le lundi d’avant, Thalie et l’une de ses camarades de chambrée avait décidé de pimenter un peu ces premiers jours d'automne et, pour cela, quoi de mieux qu’un petit défi ? En une semaine, elles devaient parler avec un maximum de personnes possibles et, bien sûr, des personnes qui n’appartenaient pas à leur cercle habituel de fréquentations. C’était l’occasion rêvée de rencontrer ou de faire connaissance avec des élèves qu’elles n’avaient fait que croiser les autres années sans parler des adorables nouveaux élèves avec qui elles allaient pouvoir papoter. C’était pour se mettre dans le bain car les deux septième année avaient déjà l’habitude de papoter avec leurs camarades pour n’importe quelle raison. Elles allaient seulement le faire deux fois plus qu’avant.

D’ailleurs, Thalie était en train d’attendre un jeune premier année ressemblant à l’un de ses cousins à qui elle avait proposé de lui montrer deux trois sortilèges utiles. Elle l’avait remarqué pendant le petit-déjeuner, alors qu’il mangeait tout seul à sa table sous les rires de deux élèves plus âgés. Elle avait donc fait comme si elle le connaissait pour lui dire ne surtout pas être en retard, “ce soir, à cinq heures dans la salle des trophées” avant de se tourner vers le groupe de rieurs et de rire un instant avec eux “votre rire est si mignon, on dirait mon petit chien” et de partir dans un dernier (faux) éclat de rire. Inutile de préciser qu’elle n’avait pas de chien. Elle entendait déjà certains lui dire que c’était l’hôpital qui se moquait de la charité mais ces gens-là n’avaient rien compris à qui elle était. Et puis, quand bien même, elle avait le droit d’être inconsistante si elle le souhaitait.

Son uniforme toujours sur elle, Thalie observait sans beaucoup d’intérêt les différentes récompenses qui avaient été attribuées au fil des ans. Elle ne voyait pas bien pourquoi s’interposer pour sauver un chat méritait une médaille mais ce n’était pas elle qui les attribuait, sans quoi elle serait bien plus marrante. Impatiente, la jeune femme tapait machinalement du pieds. C’est qu’il commençait à  être en retard… Lorsque la porte s’ouvrit enfin, Thalie réprima un soupir de soulagement avant de laisser son visage refléter la déception qu’elle ressentait.

“C’est pas toi que j’attendais…” Mais Thalie avait toujours le défi en tête. “Mais c’est pas grave, je suis ravie de te voir, je me disais justement l’autre jour qu’on n’avait jamais vraiment eu l’occasion de discuter ce qui est dommage, tu ne trouves pas Andy ? Je peux t’appeler Andy d’ailleurs ! Super !” Les paroles de Thalie étaient un flot continu qui n'attendaient pas véritablement de réponses. Elle connaissait Andrew mais n’était pas sûre d’avoir échangé avec lui plus d’une minute après six ans passés dans cette école. Ou alors elle avait oublié.  “Enfin, voilà une occasion, ça me fait plaisir !” Ca lui faisait toujours plaisir de parler avec ces camarades. “Alors dis-moi, quelle est la médaille que tu aurais adoré gagner ou que tu as prévu de gagner, il reste encore du temps ?”

Certaines personnes agissaient exactement comme on s’y attendait. C’était l’une des choses qui agaçaient et fascinaient en même temps Thalie. Comment pouvait-on être dénué de spontanéité à ce point ? En voyant la réaction d’Andrew à son, très court, monologue, la question ressurgit dans son esprit. C’était comme si, tout d’un coup, elle se rappelait pourquoi elle n’avait pas cherché à pousser la conversation avec lui - outre le fait que l’occasion ne s’était jamais vraiment présentée. Les quelques secondes de silence qui précédèrent sa réponse furent terriblement longues pour Thalie qui commençait presque à se lasser de sourire. Et puis l’air sur son visage… Heureusement, sa réponse sauva Thalie de l’ennui et il réussit même à faire étirer son sourire. Peut-être l’avait-elle mal jugé, peut-être était-il plus marrant qu’il n’en avait l’air. Ce n’était pas ses premières phrases qui avait changé l'opinion de Thalie. Bien sûr qu’il ne comprenait pas l’intérêt des médailles, elle-même devait reconnaître que ce n’était pas sa passion. Elle appréciait cependant sa réponse légèrement piquante qui avait le mérite de la surprendre plus que ce qu’elle avait prévu - c’est-à-dire pas du tout.

Quant à sa dernière question, Thalie ne pût que laisser un rire.

“Mais c’est que tu parlerais presque autant que moi !” Ce qui, dans la bouche de la septième année, était un compliment. “Mais je garde la médaille pour moi, je suis comme toutes les filles, j’aime tout ce qui brille.” La jeune femme aimait jouer avec les clichés et le ton ironique qu’elle avait employé pour prononcer cette dernière phrase le laissait bien entendre. En vérité, elle aimait vraiment ce qui brillait même si une part d’elle le trouvait cela ridicule. Heureusement pour elle, la Serpentard n’avait jamais prétendu être parfaite et elle n’avait d’ailleurs jamais entendu quelqu’un prétendre qu’elle l’était.

Avant de reprendre la parole - elle n’allait pas répondre avec si peu de mots, Thalie prit le temps de faire un pas en arrière pour s’adosser au mur en pierres froides, entre deux vitrines dont l’une vantait les mérites des anciens préfets et l’autre les résultats excellents des élèves les plus barbants. Enfin, c’était son interprétation.

“Ne t’inquiète pas, si j’avais un rencard j’aurais fait semblant de faire un malaise pour que tu ailles chercher de l’aide et j’en aurais profité pour verrouiller la porte dès que mon rendez-vous serait arrivé.” Et elle aurait adoré le faire, l’idée lui plaisait beaucoup, vraiment beaucoup. “J’attends, mais je crois qu’il ne viendra pas, un élève de première année qui se faisait embêter par des élèves plus âgés, je lui ai proposé de lui apprendre deux trois sorts pour l’aider à régler cette situation. En attendant, je poireaute et je m’ennuie, comme quoi les bonnes actions ne paient pas !” L’air faussement désolé de Thalie ne trompait pourtant personne. “Et toi qu’est-ce que tu fais ici ? Un rendez-vous galant ?” L’idée semblait beaucoup lui plaire et son regard commença à pétiller, elle s’imaginait déjà découvrir tous les secrets de son camarade. “J’espère que c’est un rendez-vous galant !”